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DIALOGUE I

2016-07-10

LA POÉSIE DRAMATIQUE DE L'ARCHITECTURE

DEUX FAÇONS DE VOIR LE MONDE

L’OBJET

LE FRUIT EST AVARIÉ

QUELLE DÉMOCRATIE ? RETOUR À L’ÉTAT DE NATURE

LE CORPS, L’ART DE L’IMITATION

LE PLAISIR

LE PLAISIR DE L’IMAGINATION DE L’AILLEURS ET DE L’INFINI

L’IDÉE

CONCEVOIR INDÉFINIMENT

ART ET OBJET

LES OBJETS ENTRE-EUX 

À TROP VOULOIR COMPRENDRE LES CHOSES

LA NATURE RÉFÉRENTE

L’ARCHITECTURE

RIEN NE PRÉEXISTE

LA NATURE DES CHOSES

SA MATÉRIALITÉ

FORCE DE LA NATURE, FAIBLESSE DE LA RAISON 

FAIBLESSE DE LA RAISON, FAIBLESSE DE LA POÉSIE

LE LANGAGE

LA DISSONANCE

PULSION DE VIE

POÉSIE DRAMATIQUE

LA LANGUE UNIVERSELLE

LA CORRUPTION DU GENRE 

 

DEUX FAÇONS DE VOIR LE MONDE

 

Une première qui est celle de considérer l’objet en soi. L’objet comme réalité. Une deuxième qui est de penser l’objet en lien avec l’infini et la fulgurance de l’âme.

L’objet est utile à l’usage. Mais plus encore à la révélation de l’idée de ce même usage. Ce qui nous ouvre toutes les portes du monde de l’imagination et de la pensée, sans l’évocation duquel il est difficile de vivre.

L’objet sans l’idée historique scientifique, technique, économique, en d’autres termes, culturelle, n’est rien d’autre que le fruit de l’usage réduit à sa plus simple expression, frustre, terne et sans saveur. Car la saveur naît de l’idée que l’on se fait à reconnaître le goût des choses. En soi l’aliment n’a que le goût de lui-même, de la faim rassasiée, mais en aucune façon de celui d’un mets rêvé comme un voyage vers des contrées cachées rejoint par les chemins les plus obliques que l’esprit, dans sa quête du vertige, recherche à emprunter. Le vertige de l’étonnement, de l’inconnu, de l’étrange, qui nous éclaire les choses bien différemment. L’humain s’agrippe à ce qu’il connaît, tout en cultivant son envie de se jeter dans le vide de l’inconnu. Le vide se définissant comme le monde avant sa reconnaissance. Le vide étant la partie invisible du monde et tout ce qui n’est pas reconnu par un vocabulaire d’usage.

 

L’OBJET

 

C‘est bien le retour à l’objet primitif, et l’abandon de la page blanche qui nous foutent dans le mur. L’objet d’art est une ligne imperceptible.

L’objet est identifié par le mot qui lui-même s’alimente d’une série d’images accessoires et complémentaires, divergentes et alternatives. Notre civilisation se nourrit de cette recherche incessante de la voie alternative, par peur de l’ennui et de ce qui l’accompagne, la vacuité et un peu plus loin, la mort. Revenir à l’objet en soi n’est pas proscrit dans la mesure où il devient le sujet de cette alternative nouvelle, étrange et non corrompue. La richesse de notre civilisation naît de la multiplicité des pensées signifiantes qui s’appuient sur l’objet. Mais non sur la multiplicité de l’objet qui encombre la pensée et réduit le génie au simple agencement des objets plutôt qu’à leur interprétation poétique. La société moderne s’enorgueillit de cette multiplication de l’objet qui a pour finalité d’asservir le peuple à la consommation en lui annihilant son génie poétique.

 

Cet encombrement est néfaste. Néfaste à l’écriture d’un parcours individuel que notre nature même nous réclame en réponse au vide auquel chacun de nous est confronté dans l’anonymat du groupe. La réponse de la grande majorité de la population est de se sortir de cet anonymat synonyme de mort, par l’appartenance à un groupe, ou encore par l’accumulation d’objets. Le second comportement on le constate immédiatement est vain, puisque l’on a bien compris que l’objet n’est représentatif d’aucune pensée distinctive (même dans le cas d’un objet dit original) et qu’en conséquence le consommateur d’objets aura beau s’évertuer à les accumuler, ils ne voudront toujours rien dire de particulier au reste de la société.  

 

L’OBJET REMPLACE LE MOT ET L’IDÉE

 

Cette accumulation de l’objet, son obsession, justifiées sans doute par des besoins de croissance nécessaire au bien-être de la population sacrifie le mot et l’idée. Lesquels sont impératifs au dialogue et à la construction intellectuelle. À la paix. À l’entente entre les individus. À l’entente entre les peuples. La réduction vertigineuse de l’usage des mots est le signe du retour à la barbarie. Sauf à imaginer que l’homme va être peu à peu remplacé par la machine, l’ordinateur et le robot, qui peuvent bien sûr user de mots multiples et nombreux mais que l’on ne programme que pour standardiser ou optimiser un produit, un résultat, une réponse. Jamais pour imaginer une réponse alternative nouvelle aléatoire et poétique. Pourtant la machine est capable de la proposer. Mais la peur du risque et de l’étrangeté l’emporte sur l’envie de nouveauté et de différence.

 

QUELLE DÉMOCRATIE ? RETOUR A L’ÉTAT DE NATURE

 

La définition de la démocratie représentative d’aujourd’hui est confuse. Paradoxalement celle-ci, en remettant les clefs à une petite partie de la population, prive cette dernière de toute parole. Par cette privation d’expression, la population retourne à un fonctionnement insensé, de l’ordre des phénomènes naturels. Sans intelligence. Sans raisonnement. Le groupe humain et la nature des choses. Nos raisonnements régressent. Et nos comportements recherchent dans la violence, une solution impossible à notre carence du raisonnement. L’argent nous a avilis. Enfin l’argent n’y est pour rien. Ce sont plutôt nos gènes impropres à une attitude civilisée qui ont trouvé dans l’argent la raison de nos comportements barbares. Qui justifient nos comportements barbares par l’appât du gain.

 

LE PLAISIR

 

Le plaisir naît du principe naturel que l’espèce survit par l’émergence de la différence et de la variété. Le plaisir naît de la recherche de la voie nouvelle qui bénéficierait à la santé de l’espèce. Le plaisir est en réalité le fondement même de notre survie, qui nous suggère le renouveau. Le vertige de l’étrangeté. Sans la pulsion de vie, il n’y aurait pas de sentiment de plaisir. Et sans le plaisir qui n’est que physiologique, l’espèce disparaîtrait.

Les conservateurs vont sembler préférer revenir à l’histoire ancienne, l’histoire de l’objet notamment quand il s’agit de patrimoine et les progressistes à la faire évoluer. Pour ma part je n’y vois pas d’antagonisme, mais confusion. Car il n’est pas question d’éliminer l’histoire au profit de la nouveauté puisque justement le principe de survie est engendré par l’association du général existant et du particularisme naissant, du défaut qui devient qualité pour régénérer le général.

Alors ces querelles sont lassantes. D’autant que la conservation et la vérité de l’histoire, du temps passé, sont le sujet de polémiques permanentes et là aussi de visions individuelles et particulières. Il n’y a pas lieu de défendre une position plutôt qu’une autre. Seule la variété est à considérer.

 

La survie de notre espèce passe par la vivacité de notre esprit qui lui-même transforme les valeurs devenues collectives de l’histoire en associant à l’objet un imaginaire particulier. Ce processus répond à la pulsion naturelle de survie qui ne peut se résoudre à la mort et qui veut imaginer par conséquent un éternel infini.

 

LE PLAISIR DE L’IMAGINATION DE L’AILLEURS ET DE L’INFINI

 

Ce qui est vu n’existe pas à notre esprit. Ce qui est présent est ce que l’on imagine au-delà de l’objet, au-delà de la cime des montagnes. Au-delà de l’océan. Au-delà de la ligne d’horizon. L’âme s’imagine ce qu’elle ne voit pas. Erre dans le monde des déserts. Le plaisir est le désir de cet inconnu. Il n’est jamais de ce que l’on possède. C’est en quoi l’objet devient celui du désir quand il est encore étranger à nous-mêmes. Une mécanique que l’on ne maîtrise pas. Plus encore une représentation du monde inhabituelle et inconnue.

 

Toute la différence entre un simple objet d’usage et un objet symbolique, un objet d’art, est cette quasi-impossibilité à le démonter pour en reconnaître les pièces et la procédure de montage.

 

L’IDÉE

 

Une idée sans objet qui l’exprime nous échappe. Une idée poétique prend corps et réalité que par l’objet. Par une forme sensible et précise. Par l’architecture, la peinture, par exemple. Il n’y a pas d’idée d’architecture sans la construction à laquelle elle se réfère. À l’histoire de l’architecture. Et l’architecture, l’objet architecture, de même n’apparaît pas sans l’idée que l’on s’en fait. L’objet est nécessaire. Il est la première source de cristallisation de notre pensée.

 

CONCEVOIR INDÉFINIMENT

 

Sans la possibilité d’imaginer et de concevoir, nous mourons. Concevoir un objet est une étape vers un autre objet. Concevoir, c’est concevoir indéfiniment. Il n’y a pas d’autre motivation à ce désir de concevoir que de donner à son cerveau l’illusion de l’infinité. Qui est la source du plaisir naturel. Celui de ne jamais discerner les limites de l’objet parfaitement. Car dans l’incertitude de sa définition, notre pensée y loge l’idée d’infini. L’objet est toujours complété d’un autre à concevoir. Il n’y a pas de fin. Pourtant, l’âme ne parvient pas à concevoir l’infini et l’indéfini. Ce qui fait de ce désir le paradoxe fondateur.

 

Devrions-nous en conclure que l’être humain cherche à échapper à sa condition en refusant sa propre définition qui le réduirait sans nul doute à l’animalité qui le terrorise ? Ou que plus simplement que toute tentative de parvenir à la connaissance est vaine ?

 

L’âme a le désir de porter la connaissance toujours plus loin en abordant des territoires inconnus, qui dans le même temps qu’elle les découvre, l’effraient. Provoquant ce que l’on peut nommer le vertige. Puis dans un second temps une angoisse. Il est bien amusant de voir ce processus qui s’impose à nous-mêmes, qui nous pousse à vouloir reconnaître l’étrangeté tout en sachant que suivra au plaisir de la découverte, un déplaisir d’un contentement inassouvi d’une âme en peine à saisir la réalité de ce qu’elle n’a pas conçu.

 

Ce moment est la naissance de l’angoisse.

 

ART ET OBJET

 

La conclusion qui peut être tirée est que l’art ne semble pas pouvoir se trouver dans l’objet mais bien dans l’idée de l’objet et que le désir d’art naît du plaisir de la découverte de la forme inachevée, ou imparfaitement définie, incitant l’artiste, ou le spectateur, à envisager une autre possibilité. Un autre monde. Un autre lieu.

 

Par conséquent les œuvres sous toutes les formes sont envisageables. Le ballon de Koons comme la pharmacie de Hirst. Le dessin à la mine de Michel Ange comme la manière de Caravage. Mais aussi sous la forme d’une équation mathématique. En réalité sous toutes les formes qui renvoient à un indéfini.

De cette quantité ressort l’œuvre au degré de sophistication de l’incertitude et de l’indéfini la plus élevée. Sans doute est-ce ainsi que certaines œuvres se dégagent des autres et deviennent des chefs-d’œuvre.  

 

Tout est alors affaire de choix. Et de niveau de sensibilité. En d’autres termes d’expérience acquise. Plus on connaît de choses, plus on les a décortiquées, plus on exige de la sophistication dans l’établissement de la ligne incertaine.

 

LES OBJETS ENTRE-EUX 

 

À examiner cette idée que le sujet de l’art est l’incertitude et l’indéfinition de l’objet, l’on peut déplacer l’intérêt porté sur l’objet à ce qui lie les objets entre eux. Car prendre en compte son incertitude c’est avant tout regarder son lien avec l’univers et en particulier avec les autres objets. À prendre en compte cette incertitude du rapport à l’environnement proche et lointain. Dans le temps et l’espace.

 

Ce déplacement amène à considérer l’objet comme un système et non plus comme une unité. À considérer les liens qui l’unissent aux autres unités et à ce qui le constitue.

 

Delà à ne plus regarder l’objet en tant que tel mais en tant que mot d’une phrase, élément de vocabulaire, il n’y a qu’un pas.

 

Certes, l’objet est nommé. En tant que tel il est le support de la cristallisation de la pensée et de l’idée. Mais aussitôt il se défait pour engendrer une relation à un autre objet ou à une autre formulation de ce même objet. En réalité les deux en même temps.

 

Ce qui fait de l’objet non plus une unité isolée, finie, mais un élément du continuum qu’est l’univers tout entier ; cet univers tout entier à la limite duquel le désir pense trouver le plaisir de la découverte constitutive de notre soi ; dans la dualité du sentiment de plaisir obtenu à reconnaître une autre partie du monde et dans le même temps de ne pas être en capacité à le comprendre ce qui fait apparaître l’angoisse.

 

À TROP VOULOIR COMPRENDRE LES CHOSES

 

Détruisons-nous le sentiment poétique que porte en lui-même la chose incertaine ? Ou au contraire élargissons-nous le domaine d’expérience sensible qui profite à notre capacité à nous émouvoir ?

 

Cette question est un non-sens en réalité, le sentiment poétique est bien à la lisière de deux mondes fluctuants, l’un reconnu, ou considéré comme tel, et l’autre incertain. Quel que soit le niveau de reconnaissance, ce niveau est relatif. Et le domaine de l’inconnu est toujours aussi infini.

 

L’idée portée par l’objet contient une autre idée et ainsi de suite. Ouvrant à chaque fois cette idée sur un territoire encore plus vaste et inconnu. Mais au fond revenant à un univers antique de la pensée, à décomposer l’idée, nous parvenons à l’assécher en la réduisant à l’élémentaire et l’éloignant d’une complexité généreuse et stimulante de la pensée imaginative. Nous l’isolons alors même que notre plaisir naît de l’enchaînement.

 

L’art réduit à l’objet hors du champ de la pensée imaginative se comporte isolément et perd son sens systémique.

 

Il devient sujet de consommation et non de pensée. Cette obsession de l’objet nous a éloignés de la poésie et de l’univers de la pensée littéraire. Qui désormais se réduit à la narration sans autre velléité interprétative et évocatrice.

 

La volonté moderne de la maîtrise supposée et bien illusoire, nous éloigne de la beauté du discours, et de cette poésie oubliée qui suscite chez l’homme les pensées les plus lointaines et inconnues ; et nous laisse imaginer le monde dans sa plus grande globalité.

 

Oui le sujet de l’art est de nous éloigner de nos certitudes et de nous guider sur des chemins de découverte du monde et de nous-mêmes. Échapper à ce que l’on maîtrise. Et se laisser envahir par le vertige des domaines qui nous sont étrangers, en raccourci, par la nature tout entière. Celle qui parle à tout le monde et inspire l’âme de chacun.


LA NATURE RÉFÉRENTE

 

C’est dans la nature que chacun de nous retrouve le sens inexplicable de la vie, en la parcourant, la gravissant, la traversant, l’observant. Il n’y a d’autre référent au sens poétique que la nature. L’objet n’étant qu’un intermédiaire porteur d’une idée à la définition d’une partie, d’une infime partie de celle-ci.

 

Que l’on trace un chemin dans la vallée, éclaircisse une clairière dans le bois, établisse un socle à une construction, tout s’établit dans la perception et l’idée que l’on se fait de la nature et de nous-mêmes, partie de cette nature. Il n’y a pas d’échappée possible, la plus complexe des constructions de l’homme s’y réfère, en part et y retourne. Autrement dit les choses échappent à notre intelligence par là-même qu’elles préexistent à notre survenue sur terre. Et que nous n’avons pas les moyens intellectuels de juger des choses avant les choses. C’est une illusion de croire à notre capacité à démêler la réalité de la nature. Nous ne pouvons que dialoguer avec elle. Les scientifiques ne font que ça. Au même titre que les poètes. D’ailleurs il semblerait que la dernière source d’inspiration poétique, aujourd’hui serait la recherche scientifique qui pourtant elle aussi subie la loi de l’argent.

 

L’art, ce que l’on appelle l’art est lui totalement inféodé. Et justement inféodé, à considérer la faiblesse intellectuelle de leurs représentants affairistes et des légataires du droit.

 

L’ARCHITECTURE

 

Devrions-nous comprendre que l’architecture ne peut être qu’un dialogue, lui aussi, entre le paysage, nous-mêmes et notre pensée imaginative ? Certainement. Et si la liberté à chacun est de penser ce qu’il veut des choses, la mienne est d’imaginer que l’architecture est un lien entre la réalité du monde moderne et la pensée antique humaine. Qui s’établit sur de simples et primitifs sujets comme se protéger des intempéries, se tenir au chaud, regarder au loin le paysage et imaginer un jardin secret de douceur et de paix. Je ne pourrais supporter et je ne supporte pas de ne pas pouvoir imaginer, à regarder de l’autre côté de la rue, l’univers et sa diversité. L’univers et ses confins. L’univers et ses recoins. L’univers et l’homme agissant. Ce qui m’interdit de regarder le mur d’en face sans imaginer comment il a été construit, de quoi et quand, pour établir le début d’une histoire sans fin avec l’homme, le plus proche, mais aussi le plus étranger à l’autre bout de la terre et de l’histoire passée. Je mourrais à penser que le mur d’en face et l’enduit qui le recouvre ou la pierre qui le chaîne, ne sont pas nés d’une idée poétique insensée, de considérer la chaux comme le liant magique à la maçonnerie et la pierre comme la première des pyramides.

J’aspire à penser les choses dans l’ordre du chaos, changeantes et supérieures à nous. J’aspire à dessiner l’architecture comme une pensée mouvante, comme l’écho de la journée d’un homme. Et non pas comme une chose, un objet, une façade. Mais comme un creux, un négatif, une trace, un abri, un belvédère. Un indéfini pour que le plaisir nous envahisse lentement à découvrir les recoins de l’espace qui sont ceux de notre âme. Perdre le fil et le retrouver au détour d’un pli. Pour que le désir de la découverte soit encore là, demain, après-demain et pour toujours. Que l’angle de vue vers l’intérieur, vers l’extérieur soit multiple et les regards portés, toujours changeant.

 

KATSURA

 

L’architecture que j’évoque, elle existe. Proche de Kyôto. Un paysage réduit et une maison pliée. Ne possédant ni façade, ni devant, ni derrière. Ni côté. Insérant l’angle droit dans le paysage, comme le baroque inséra le contrepoint dans l’art de la composition.

 

RIEN NE PRÉEXISTE

 

La forme et l’idée se conjuguent au cours du temps, associées à la nécessité de survivre qui impose à l’homme de s’adapter. L’objet ne préexiste pas. Le mot. Le son. Rien. Le cri de la survie apparaît au moment même où la vie surgit. Mais pas avant. Celui que peuvent prendre les choses concomitamment à l’apparition de la vie. Rien donc n’a de sens avant. Tout prend son sens dans l’instant. Et dans l’instant, qu’une obsession, vivre, survivre. S’abriter. Et se nourrir. Avant même de se reproduire.

 

La première architecture est celle que nous propose la nature, la grotte. Et de la nécessité est née l’idée de l‘architecture.

 

Puis la vigueur de la pensée recompose les choses, à partir du sentiment premier de vie, et élabore des compositions complexes. Que par ailleurs les philosophes, recherchent à déconstruire pour en connaître le cheminement et la voie mystérieuse.

 

LA NATURE DES CHOSES

 

Essentielle. Définitive. Absolue. Primitive.

 

SA MATÉRIALITÉ

 

Tout est matériel. Et l’abstraction est une illusion. L’idée repose sur la chose matérielle à laquelle elle ne préexiste pas. L’architecture se construit à partir du sentiment d’architecture que suggère l’analyse historique des nécessités primitives. Elle se réfère à la culture universelle. Qui elle-même se définit par une somme d’objets, de traces, de réalités variables interprétées.

 

L’architecture est donc la nature. L’art est la nature. L’écriture, la musique. L’objet un matériau de la construction. Et la construction est un phénomène épistémologique, tout en demeurant une idée de nature, le corps de la pensée de la nature.

 

FORCE DE LA NATURE, FAIBLESSE DE LA RAISON 

 

La nature, la matière, l’emportent sur une raison qui peine à établir des liens avec ce qui l’entoure. La construction de l’objet participe à la compréhension du monde. Encore faut-il que cet objet porte la pensée vers d’autres considérations et ne la limite pas à son usage immédiat. S’il est vrai que ce n’est le cas d’aucun objet d’autant plus qu’il est utile à l’usage du quotidien, cela peut l’être d’un objet d’aucune fonctionnalité. La fonctionnalité d’un objet n’est jamais arrêtée, elle se renouvelle à chaque utilisation. C’est ce qui fait de l’objet fonctionnel débarrassé de son enveloppe exagérément dessinée un élément de vocabulaire réellement porteur d’un nouveau désir. Il est évidemment nécessaire pour imaginer une fonctionnalité alternative donc un comportement raisonnable face à la nature de comprendre l’objet en soi débarrassé de ce faux-semblant dont on l’affuble. La capacité de chacun à déconstruire l’objet devient alors nécessaire. À déconstruire la « pensée » communément admise, pour envisager l’objet dans son sens premier évolutif. Ce que le surplus de forme aujourd’hui interdit en figeant l’objet. Cette obsession à éloigner l’objet de sa première signification et à lui limiter sa capacité évolutive est en fait le résultat d’une analyse économique simple, qui veut qu’à une fonction l’on puisse répondre par la fabrication et la vente d’un objet. Quel malheur serait-ce si l’objet évoluait vers d’autres usages auxquels l’industrie ne répondrait qu’avec retard !

 

Il en va de même des objets de l’industrie de l’art. On peut remarquer d’ailleurs que les artistes se tournent tous vers la fabrication de « figurines » monumentales d’animaux divers, d’ours des steppes plus particulièrement, ou d’icônes du show-business.

 

La reconnaissance par leurs clients de l’objet représentant un fauve de la nature ou d’un portrait de Marilyn Monroe, est immédiate. Si facile que ces objets leur conviennent sans plus de débat. Pourtant ces objets ne suggèrent que faiblement un univers étranger, renouvelé, parallèle. Ce que l’on attend de l’objet en général et plus encore de l’objet artistique en particulier.

 

FAIBLESSE DE LA RAISON, FAIBLESSE DE LA POESIE

 

La poésie des choses qui me semble être la seule motivation à se lever le matin s’appuie sur notre capacité à développer une systémie alternative. En d’autres termes notre capacité à lire, regarder, apprendre, comparer, critiquer, enfin travailler. Si la poésie n’est pas le fruit du raisonnement, elle est le fruit de la déconstruction raisonnée vous laissant un champ de ruines que l’esprit relève à sa façon. La poésie n’est pas autre chose que la disposition et le besoin qu’a notre cerveau à imaginer un monde alternatif, nourri des émotions mémorisées de notre histoire individuelle. La poésie est la recherche du plaisir. Un plaisir qui même s’il semble se profiler selon la vie particulière de chacun peut se partager par l’établissement d’un lien entre les êtres, le lien du langage.

 

LE LANGAGE

 

Il ne s’agit pas seulement des mots de la langue, il s’agit aussi de tous les vocabulaires que nos activités génèrent, par la création d’objets, les mets cuisinés, les mécaniques, les objets artistiques, les sons, etc.

Le langage est vital. Le rapport à la nature, le rapport à l’autre dépendent de la valeur du langage. Cette valeur n’est pas fonction du nombre de mots, mais du nombre de nuances. Et l’effet est multiplicateur.

 

LA DISSONANCE

 

La recherche de la nuance passe tout d’abord par une dissonance. Une légère torsion. Une rupture. Se révèle alors à nos yeux une variation étonnante qui nous porte à ressentir un univers différent et inconnu. Et qui provoque ce plaisir désiré.

 

LE PLAISIR

 

Il est « la raison que la raison ne connaît pas » à notre pulsion de vie. Il se trouve dans l’exercice de toutes les activités humaines, sportives, professionnelles, consommatrices, artistiques, etc. Mais chacune ne se régénère que par l’effet de variation que l’on apporte à la pratiquer.

 

L’art est cet effet de variation dans la nuance.

 

PULSION DE VIE

 

Sans la pulsion de vie il n’y a pas de plaisir. Sans plaisir pas de motivation à faire les choses. Et réciproquement la nature des choses dont l’objet est la survie de l’espèce est faite de telle façon que le plaisir pousse l’homme à se régénérer par la variation fondatrice de cette survie.

 

Cette envie de poésie est donc inhérente à la nature de l’homme. Et l’homme ne s’explique pas. Même aujourd’hui où il est possible de manipuler le génome, nous sommes très loin de l’explication de la vie. Qui à mon sens ne sera jamais élucidé. La vie est un état dont l’homme n’a ni conscience du passé ni conscience du futur. Ni conscience de lui-même. Plus il s’interroge plus il s’éloigne de lui-même, s’il n’élabore pas une architecture qui le lie à son origine, son être morphologique et naturel.

 

POÉSIE DRAMATIQUE

 

Ce lien élaboré sous forme d’architecture est un drame. Une dramaturgie. Il n’est pas raisonnable. Ni de l’ordre de la vraisemblance. Qui d’ailleurs est impossible à définir. C’est une mise en scène de nous-mêmes. Une idée de nous-mêmes que traduisent la pierre et le verre. Et qui est la première phase de reconstruction du champ de ruines que nous laisse l’examen de la nature dans la tentation névrotique que nous avons à la comprendre. Nous défaisons la nature sans chance de pouvoir la recomposer. Nous reste alors cette voie de la poésie qui ne résout rien, ne trouve d’explication à rien, mais éclaire la nature d’une autre lumière.

J’ai cette obsession de pouvoir sortir de moi-même et de m’observer. Quand comprendrai-je que cette envie n’a pas de sens. Que nous ne pouvons pas nous détacher de nous-mêmes. Et nous voir avec des yeux qui seraient mécaniques.

 

La poésie a le pouvoir de rassembler les hommes. La raison les éloigne. Car la raison est le plus petit commun multiple. La poésie le plus grand commun diviseur.

 

LA LANGUE UNIVERSELLE

 

Les arts comme les langues se traduisent. Ils ne deviennent universels que quand ils se sont débarrassés des manières régionales et spécifiques des peuples. En d’autres termes que quand ils sont expression de nature. L’architecture a cette force d’être une part de nature tout en parlant d’elle par ailleurs. Elle est nature car elle est une fonction essentielle à l’homme. Elle se construit dans un paysage et devient une part de ce paysage. Et en même temps par son écriture et son vocabulaire propre, elle parle de l’histoire de l’architecture, des liens ancestraux qui lient l’homme à la nature. Elle met en scène ce drame et ne cherche à donner aucune explication. Elle recompose un univers sur terre différent. Elle s’ajoute à elle et l’ensemble devient état de nature. Sans cesse les normes et les lois rappellent à l’architecte ce qu’est la civilisation. Si peu. Et ce si peu est le tout. L’architecture a vocation à aller chercher chez les plus humbles comme les plus érudits l’émotion commune. Que le verre et l’acier cristalliseront. Jamais l’architecture ne peut échapper à cette obligation de se soumettre à la pensée commune, tout en la portant aux plus poétiques des sentiments.

 

LA CORRUPTION DU GENRE 


Les objets se suivent jusqu’au point le plus parfait qui précède la corruption. L’architecture se pervertit elle aussi dans la réalisation de l’idée de perfection théorique. Elle demeure malgré tout une fonction d’usage incontournable. Ce qui la sauve de la corruption et de la perversion des enjeux économiques. Et de la croyance de l’idée du vrai. Car il est là le problème auquel on se heurte aujourd’hui à croire que le vrai serait salvateur.

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